Gabriel Attal poursuit la guerre… contre les pauvres

Copie d’écran du Monde (27/03/2024)

Persiste et signe. Une nouvelle fois, le Premier ministre annonce des «pistes» pour inciter à reprendre plus vite le travail, avec à la clef une négociation sociale sous contrainte où les partenaires sociaux sont priés d’avance d’entériner les objectifs du Gouvernement. Autrement dit, le «dialogue social» sert — encore — de paravent à une régression sociale de plus.

Durée d’indemnisation réduite de 18 à 12 mois, conditions d’accès à l’indemnisation durcies, montant de l’indemnisation à baisser — encore. Tel est le cadre de l’épure, ou plutôt de la nouvelle épure, puisque c’est la troisième réforme (à la baisse) de l’assurance chômage depuis 2018 et que l’effet de la première a été catastrophique pour les faiblement diplômés, les jeunes, les faiblement diplômés et les femmes, comme l’a rappelé le député socialiste Arthur Delaporte dans ce fil sur X (ex-Twitter) en citant un rapport accablant d’économistes de la DARES (direction statistique du ministère du Travail).

Dans Le Monde («Gabriel Attal et la “théorie du chômage volontaire”: un argument discutable pour attirer les classes moyennes», 27/03/24) écrivent :

Le premier ministre, qui convoque un séminaire gouvernemental mercredi sur le thème de l’emploi, répète que le travail doit «toujours mieux payer» que l’inactivité, alors que c’est déjà le cas, sauf rares exceptions. Un langage musclé sur les précaires, visant à parler à la «France qui travaille».

Et de pointer que, dans l’opinion, cette approche est hélas! peu contestée, tant il est très facile — Geogia Meloni a largement exploité le thème — d’opposer les plus précaires, victimes de parcours professionnels hachés, à ceux qui «travaillent», mais sont mal rémunérés et moins encore considérés. Cynisme politique absolu qui sied bien à celui qui, comme éphémère ministre de l’Éducation nationale, s’est surtout révélé comme «homme de com» pour discours de comptoir que comme politique prenant à bras le corps les défis à relever.

Gabriem Attal en janvier 2019 (source «SelbyMayx»/Wikimedia Commons, lic. CC-BY-SA 4.0 int.).
Gabriem Attal en janvier 2019 (source «SelbyMayx»/Wikimedia Commons, lic. CC-BY-SA 4.0 int.).

Il y a sans doute, sans ce énième tour de vis contre les chômeurs depuis 2018, une illusion résultant de la pensée magique macroniste (pensée magique: on y reviendra). Dans Libération («Finances publiques: Gabriel Attal prépare les chômeurs à la rigueur», 27/03/24), Frantz Durupt en présente la fallacieuse logique:

Au-delà des économies attendues, le Premier ministre assure qu’un taux d’emploi français similaire à celui du voisin allemand suffirait à panser toutes les plaies budgétaires. Et laisse croire qu’il suffirait de cibler une énième fois les demandeurs d’emploi, soupçonnés de choisir leur situation, pour résoudre le problème du chômage.

C’est toujours la guerre aux pauvres. Pourtant, rappelle dans l’article Bruno Coquet (économiste associé à l’OFCE), «moins de la moitié de ceux qui sont inscrits à France Travail sont indemnisés», relève M. Coquet. « Dès lors, poursuit-il, est-on vraiment sûr qu’une assurance-chômage moins généreuse incitera les privés d’emploi à en reprendre un ?» Et, parmi ceux qui sont indemnisés, rappelait Patricia Ferrand, vice-présidente de l’UNEDIC, lors d’une audition au Sénat le 20 mars, «il y en a la moitié qui travaille tous les mois

La pensée magique d’un Premier ministre totalement en phase avec le président de la République intègre sans nul doute ce travail magique qu’on trouverait en traversant la rue. Or, Dan Israel le rappelait dans Mediapart («Brutaliser les chômeurs, ultime étape du cynisme politique», 27/03/2024):

Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), l’institut statistique du ministère du travail, la moitié des demandeurs et demandeuses d’emploi retrouvant un travail n’ont droit qu’à un CDD de moins de deux mois ou à une mission d’intérim.

De fait, la DARES ne comptabilisait fin 2023 (enquête trimestrielle publiée en mars 2023) que 350 000 emplois vacants, pas tous à temps complet. Pas de quoi satisfaire la demande des 5,4 millions de demandeurs d’emploi inscrits à France travail fin février 2024!

Une agence de Pôle emploi à Lyon 4e (Benoît Prieur/Wikimedia Commons, lic. CC0, domaine public).

Derrière cela, il y a pourtant une réalité que le même journaliste rappelait Dan Israel dans le chapô de son article: «Taper sur les plus précaires est un moyen commode pour l’exécutif de faire oublier que ses choix ne favorisent pas les salariés ou les classes moyennes.»

Le cynisme est ici total. Le pouvoir sait qu’il joue sur du velours quand, à tort, un nombre important de Français considèrent que les chômeurs sont responsables de leur sort comme l’indique le baromètre UNEDIC 2023:

La responsabilité des demandeurs d’emploi eux-mêmes (50 %) demeure la deuxième cause du chômage dans notre pays, derrière les évolutions de la société (61 %, +2 points)

Pour l’universitaire Yannick L’Horty, que cite l’article du Monde, il y a une logique politique derrière tout cela:

«Il s’agit de parler à un électorat, qui a une représentation des ménages à bas revenus et des chômeurs assez éloignée de la réalité vécue par ceux-ci.»

La réalité? Les causes objectives des difficultés d’accès ou de retour à l’emploi (éloignement, transports, formation…)? Négligeables billevesées pour le pouvoir en place! À dire vrai, le début de l’article du Monde nous éclairait très justement sur la motivation de l’obstination de l’exécutif:

Depuis son arrivée à Matignon, Gabriel Attal en a fait l’un de ses marqueurs. Il le répète comme un mantra. «Le travail doit toujours mieux payer que l’inactivité», assène le Premier ministre.

Comme un mantra. Comme le précise le Trésor de la langue française:

Formule sacrée du brahmanisme qui possède, associée à certains rites, une vertu magique. Des Mantras ou des prières magiques, ayant une vertu comme «Sésame, ouvre-toi» (H. Michaux,Un Barbare en Asie,Paris, Gallimard, 1945, p. 21) […]

Tout est dit: la réalité importe peu, comme les conséquences en termes de précarité et de misère sociale. Sur fond de pensée magique, la guerre aux pauvres peut continuer…