Macron se voulait disruptif, le voilà disrupté

Emmanuel Macron en novembre 2023 (Wikimedia Commons)
Emmanuel Macron en novembre 2023 (Wikimedia Commons)

En 2017, Emmanuel Macron se voulait «disruptif» en récupérant une nouvelle antienne du dépassement de l’opposition entre la droite et la gauche. Le et de droite, et de gauche, transmuté en ni de droite, ni de gauche, s’est révélé être bien de droite, pas de gauche. De sa révolution, on aura surtout retenu la conjonction d’un libéralisme économique privilégiant le capitalisme financier et d’une centralisation de l’exercice du pouvoir à un point extrême, même sous une Cinquième République dont le caractère présidentialiste s’est accru depuis la réforme de 2000.

Le début 2024, voir ce «disrupteur» à son tour «disrupté», si j’ose risquer ce néologisme. D’abord, parce que son propos initial s’est effondré avec sa majorité parlementaire absolue (élections de 2022): le dépassement a sombré dans un alignement avec une droite réactionnaire, poreuse aux thématiques et aux thèses de l’extrême droite dont la loi Immigration a été la triste résultant. Ensuite, parce que le remaniement de janvier 2024 marque son propre affaiblissement malgré la réaffirmation volontariste d’une autorité politique qui semble soumise, quoi qu’il en dise, à des expressions centrifuges.

DISRUPTIF, DISRUPTIVE, adjectif.
Étymologie : XVIe siècle, au sens de «qui sert à rompre». Dérivé savant du latin disruptum, supin de disrumpere, «briser en morceaux, faire éclater».
Électricité. En parlant d’un courant électrique. Qui transperce un isolant en désorganisant sa structure mécanique et chimique, momentanément ou définitivement. Décharge disruptive, claquage disruptif. Champ électrique disruptif.
Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition.

DISRUPTION. nom commun, féminin.
(Marketing) (Anglicisme) Stratégie d’innovation par la remise en question des formes généralement pratiquées sur un marché, pour accoucher d’une « vision », créatrice de produits ou de services radicalement innovants.
Wiktionnaire.

Le remaniement ministériel, outre le remplacement de la Première ministre par un clone du président, dont on mesure qu’il sera essentiellement son porte-voix, a pris des airs de gouvernement «Sarkozy II».

Bruno Le Maire dans un ministère économique renforcé, Gérald Darmanin toujours à l’Intérieur, Catherine Vautrin dans un ministère élargi des Affaires sociales et, clou de l’opération, Rachida Dati à la Culture en sont les figures majeures. Si le Premier ministre, éphémère grand-maître de l’Université, reste aligné sur le chef de l’État, la présence de poids lourds issus de la droite chiraquienne (Catherine Vautrin) ou sarkozyste (Le Maire, Darmanin, Dati) peut laisser penser que ces grands feudataires s’estiment inexpugnables. On ne peut en effet envisager de remaniement tous les quatre matins, et des mises à l’écart ultérieures seraient génératrices de crise politique. À se demander même si ce remaniement n’était pas trop précoce avant des élections européennes qui s’annoncent compliquées pour le camp présidentiel.

On voit déjà deux ministres annoncer que leur passage ne sera que temporaire. Gérald Darmanin a fait savoir qu’une «fin de cycle» serait atteinte pour lui au ministère de l’Intérieur après les Jeux olympiques. Cela lui laisse la porte ouverte pour y ouvrir ensuite un autre «cycle», mais surtout pour se placer en embuscade pour les élections de 2027 en apparaissant comme un point entre le macronisme et les électeurs LR que l’osmose ciottistes avec le RN pourrait gêner. — Au passage, cela ne ferait pas les affaires d’un Gabriel Attal qui entend jouer sa propre carte malgré tout, puisque le président de la République n’est pas rééligible.

L’autre personnalité «remarquable» est évidemment Rachida Dati. Qu’elle soit sous le coup d’une mise en examen n’a pas empêché sa nomination, symbole au fond du fait qu’Emmanuel Macron, conscient sans doute des pertes «à gauche» (indemnisation du chômage, loi retraite, loi immigration) entend continuer à cannibaliser une droite qui semble avancer comme un canard sans tête en se déplaçant vers les extrêmes. Le prix à payer en est le suicide politique de la tête de liste macroniste pressentie pour les futures municipales parisiennes (Clément Beaune). Et Rachida Dati d’affirmer — bien que théoriquement sa mission ministérielle puisse aller jusqu’en 2027 — qu’elle sera bien candidate à la mairie de Paris en 2026. Au reste, Emmanuel Macron a annoncé une réforme à venir de la loi électorale concernant les trois grandes villes à arrondissements: on peut légitimement penser que, si elles étaient indissociables dans les modalités, ce n’est ni à Lyon ni à Marseille qu’il pensait.

La vérité au fond est que le président de la République, a pu, pour montrer qu’il existe, court-circuiter le discours de politique générale de son nouveau Premier ministre, au point de rentrer dans des détails qui concerneraient une simple administration ministérielle (l’uniforme à l’École, l’horaire de l’instruction civique — mais où coupera-t-on, au passage?). Mais derrière des annonces qui peuvent notamment s’interpréter parfois comme «de la poudre de perlimpinpin» face à la gravité des problèmes réels (l’éducation, la santé), quid de ce «nouvel élan» de la deuxième partie du quinquennat?

Sans parler des sujets sociétaux qui fâchent (comme la remarque présidentielle hors sol sur le doublement des franchises médicales) ni même d’une ministre de l’Éducation nationale totalement déconsidérée dès son entrée en fonction, on aura noté que le grand ministère de la transition écologique a disparu, alors même que Bruno Le Maire a arrondi son portefeuille avec l’énergie. Le projet de décarbonation de l’économie recule dans une pratique gouvernementale à la petite semaine.

On nous annonçait un second souffle pour l’Exécutif. Manifestement, c’est déjà un souffle court.