Coupes budgétaires: les choix politiques régressifs de l’Exécutif

Dix milliards de coupes budgétaires décidées par décret. Les choix opérés ne sont pas innocents, comme l’ont dénoncé les députés socialistes, mais, au-delà même de cet épisode, les choix budgétaires macroniens, depuis 2017, sont significatifs d’un choix: favoriser le capital et les privilégiés, au détriment des plus pauvres, d’une part, mais aussi des services publics et des investissements d’avenir.

Si ce combat doit se mener aussi à l’échelle d’une Union européenne corsetée par ses règles budgétaires, il continue en France, là où l’appauvrissement de l’État le prive de ressources pour lutter, par exemple, contre la pauvreté.

Illustration Pixabay.com.

À peine le budget voté adopté (à coups de 49,3), le Gouvernement, par simple décret et donc sans la moindre consultation du Parlement a annulé dix milliards de crédits budgétaires. À cette annonce brutale, le groupe des députés socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale avait réagi par une déclaration (voir le texte complet) qui condamnait et ces coupes budgétaires, et la méthode employée.:

Cette nuit, sans aucune consultation ni vote des parlementaires, le Gouvernement a réduit de 10 milliards d’euros les moyens de l’État. Après avoir refusé de se soumettre au débat parlementaire lors de la préparation du budget en recourant abusivement aux 49.3, c’est un nouveau coup de force démocratique.

À la brutalité démocratique s’ajoute la brutalité sociale. Tout y passe !
700 millions d’euros de coupes budgétaires sur l’école […]. 2,2 milliards d’euros de coupes budgétaires sur l’écologie, la sauvegarde de l’environnement et les transports durables. […] 1,5 milliard d’euros de coupes budgétaires sur le logement […] 1,1 milliard d’euros de coupes budgétaires sur l’accompagnement dans l’emploi […] 900 millions d’euros de coupes budgétaires sur l’enseignement supérieur. La recherche, la vie étudiante, et la formation […].

Un choix économiquement contestable

Copie d'écran du quotidien «Libération»
Article de Libération (€), 22/03/2024.

Analysant ce tour de vis, un autre article de Libération mettait en évidence un phénomène préoccupant que résumait ce seul titre: «Analyse. Coupes budgétaires : la transition écologique, variable d’ajustement des dépenses de l’État» (Margaux Lacroux et Julie Renson Miquel, 19/02/2024). L’article relevait notamment le fait que MaPrimeRenov était «sabrée» et «le fonds vert coulé», celui-là même qui a pour objet l’accélération de la transition écologique dans les territoires. Cela aura un impact direct sur les possibilités des collectivités locales, par exemple, en matière de rénovation thermique des écoles, de mobilités durables ou de restauration des cours d’eau.

Copie d'écran. 10 milliards de coupes budgétaires, 10 milliards d'erreurs (Isabelle This Saint-Jean, «Alternatives économiques»).
Copie d’écran. Article (€) d’Isabelle This Saint-Jean, dans Alternatives économiques, 01/03/2024.

Dans le magazine en ligne Alternatives économiques, l’économiste Isabelle This Saint-Jean (01/03/2024) dénonçait le caractère contre-productif de ces coupes supplémentaires, annonciateur par effet mécanique d’un affaiblissement de la croissance et donc d’une réduction future des ressources publiques:

Mener une politique de redressement des comptes publics et de réduction du déficit alors que la croissance économique est faible et que le chômage remonte depuis un an aura nécessairement un effet contreproductif, ralentissant encore la croissance et imposant alors de nouvelles coupes ! Henri Sterdyniak, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), évalue l’effet dépressif à environ 1 % du PIB.

France et Europe, même combat!

Isabelle This Saint-Jean précisait d’ailleurs, après avoir évoqué la cécité des gouvernement de l’Union européenne — et singulièrement celle du couple franco-allemande — en quoi cette politique de coupes était fautive:

Cette erreur est d’autant plus préoccupante que les besoins d’investissement et de financements pour faire face aux défis actuels sont immenses. Sans être exhaustive, citons ceux générés en termes de défense par les tensions géopolitiques, ceux imposés par l’urgence climatique et écologique, par le retard technologique européen, par le vieillissement de la population qui engendre des dépenses nouvelles en termes de retraite et de santé, par les besoins des ménages durement frappés par la crise sanitaire et l’inflation, ou encore les besoins de nos services publics exsangues.
Cela est d’autant plus préoccupant que les choix d’économies effectués par le gouvernement dans son décret ne l’ont pas été au prorata du poids des différents ministères dans le budget, contrairement à ce qui avait été annoncé initialement. Ils se sont en réalité concentrés sur certaines des missions les plus essentielles pour la préparation de l’avenir.

Le retour a un système rigide de règles budgétaires (déficit inférieur à 3% du PIB, endettement limité à 60%) a été critiqué en ces termes par l’économiste Jean Pisani-Ferry — qui n’est pourtant ni un marxiste avancé ni un souverainiste étriqué:

Le ministre des finances, le libéral Christian Lindner, préfère des règles mécaniques, même si elles sont mauvaises pour l’économie. […] Bien sûr, on ne pouvait pas exclure les
emprunts destinés à financer ces investissements du calcul de la dette.
Une dette reste une dette. Mais il existe une dette vertueuse, quand les investissements en question sont générateurs d’économies futures. C’est le cas, par exemple, des investissements des collectivités locales pour isoler les écoles ou les bâtiments publics. Or cette question n’est pas traitée dans l’accord franco-allemand. C’est une des raisons pour lesquelles ce n’est pas un bon compromis.
(Virginie Malingre, entretien Jean Pisani-Ferry, «L’accord franco-allemand sur le pacte de stabilité est une occasion manquée», Le Monde, 18/12/2023.)

Au passage, Jean Pisani-Ferry soulignait que l’accord franco-allemand, lourd de menaces pour l’avenir, l’adaptation du dispositif par la non-prise en compte de l’évolution de la charge de la dette (autrement dit les effets des hausses de taux d’intérêt) courrait jusqu’en 2027… c’est à dire la fin du mandat d’Emmanuel Macron. Ce «pansement temporaire», comme le nomme l’économiste, est pour lui une «coïncidence frappante». Pour une présidence qui, en 2017, disposait de tous les leviers pour lancer les investissements de long terme, le bilan est d’ores et déjà rude: celui d’une politique court-termiste fondée sur la com, dont il ne subsiste que la pratique autoritaire fondée sur l’absolue soumission aux mantras libéraux, avec l’obsession d’une survie politique au jour le jour.

Or, dans son article, Isabelle This Saint-Jean précise que d’autres solutions existent, qui impliquent d’autres choix budgétaires, un autre chemin que celui du Il n’y a pas d’alternative (sauf à aggraver encore les politiques austéritaires), ce qui rappelle la célèbre formule «Tina» (There is no alternative) de la destructrice Margaret Thatcher.

La question des déficits et même de l’allègement de l’endettement a été accentuée — au-delà même des crises récentes (covid-19, Ukraine) par les choix idéologiques d’Emmanuel Macron et de ses gouvernements. Assécher continûment la ressource ne peut que contribuer à accroître mécaniquement les tensions sur les déficits tout en empêchant de dégager des ressources supplémentaires pour faire face aux enjeux d’avenir.

Un exemple: la (non-)lutte contre la pauvreté

Pour prendre ce seul exemple, Laurent Jeanneau, directeur de la rédaction d’Alternatives économiques relève qu’«éradiquer la pauvreté en France coûterait 37 milliards d’euros par an. Une somme importante, mais qui n’est pas au-dessus de nos moyens» — surtout si on la compare aux quelque 60 milliards de réductions des recettes fiscales opérées depuis la première élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017 («Combien ça coûterait de vraiment lutter contre la pauvreté?», Alternatives économiques, 01/03/2024 [€]).

Ce graphique, tiré de cet article, illustre le propos.

Graphique d'Alternatives économiques: 37 milliards nécessaires pour des mesures contre la pauvreté, près de 60 millliards de baisses d'impôts cumulées depuis 2017.
Copie d’écran. Graphique tiré de l’article (€) «Combien ça coûterait de vraiment lutter contre la pauvreté?» (Laurent Janneau, Alternatives économiques, 01/03/2024).

Certes, on ne peut raisonnablement utiliser une ressource possible qu’une fois. Mais, sans démagogie, on peut aussi considérer que les choix budgétaires peuvent et doivent contribuer à des politiques de long terme, à relever des défis qui ont ou prennent une dimension urgente, comme la transition écologique ou climatique ou, hélas! la nécessite, en France comme en Europe de faire face à un impérialisme militariste russe qui ne s’embarrasse d’aucun scrupule.

À l’évidence, le pouvoir exécutif, malgré sa pratique «jupitérienne», semble n’agir qu’en fonction de son horizon de «com» (en témoignent ses abandons successifs en matière de transition écologique) et sans autre fondement qu’une doxa libérale (qu’atteste ses mesures cumulatives de guerre aux pauvres).

Il faudra se le rappeler le 9 juin prochain car, à l’évidence, les effets délétères des politiques budgétaires restrictives en France découlent aussi d’une certaine vision de l’Europe qu’il s’agit de transformer (voir ici les propositions socialistes).